Castor, lémur brun, choucas des tours : mieux cohabiter avec des espèces protégées

Mercredi 30 octobre s’est tenue la 7ème rencontre Homme-Nature, organisée par la Fondation François Sommer, en son auditorium, à Paris. Que dit la science autour de la cohabitation avec trois espèces protégées parfois sources de conflits avec les activités humaines ? Comment envisager une cohabitation plus pérenne avec cette faune sauvage ? Découvrez ici la vidéo en rediffusion et un compte-rendu résumant quelques temps forts de cette conférence scientifique et environnementale ayant réuni près de 130 personnes en présentiel et en distanciel.

 

lLa pression des activités humaines sur les écosystèmes ne cesse d’augmenter. Lors de cette rencontre Homme-Nature sur « Choucas des tours, castors d’Europe, Lémur brun… Mieux cohabiter avec des espèces protégées sources de conflits avec les activités humaines », 4 chercheurs se sont penchés sur cette cohabitation, à l’aune de la biologie, de l’éthologie, de la sociologie et de l’histoire.

  • Sébastien Dugravot, maître de conférences à l’université de Rennes, mène un projet sur les populations de choucas des tours en Bretagne.
  • Bruno Simmen, chargé de recherche au CNRS, conduit une étude sur le lémur brun à Mayotte, primate frugivore protégé.
  • Claire Harpet, docteur en anthropologie et Ingénieure de Recherche, à l’université Jean-Moulin Lyon 3, travaille sur le lémur brun à Mayotte, avec Bruno Simmen.
  • Rémi Luglia, président de la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN), agrégé et docteur en Histoire, chercheur associé aux universités de Caen-Normandie et de Tours, spécialiste du castor. 

Trois études, dont deux sur le Lémur Brun et le Choucas des tours co-financées par la Fondation François Sommer, ont été mises à l’honneur au cours de cette rencontre-débat, animée par Anthony Laurent, rédacteur en chef d’Environnement Magazine.  

Rémi Luglia Castor rencontres Homme-Nature

De gauche à droite : Rémi Luglia, Bruno Simmen, Claire Harpet, Sébastien Dugravot et Anthony Laurent.

En raison de la destruction de leurs habitats naturels, ces trois espèces ont appris à s’adapter à leur environnement désormais anthropisé. Les exploitations fruitières, céréalières ou sylvicoles ont rapidement représentées des ressources accessibles au détriment de la recherche alimentaire dans les espaces naturels initiaux et entrainant parfois des conflits avec les exploitants agricoles et les petits cultivateurs.

  • 1 – En Bretagne, haro sur les choucas des tours ?

À la suite d’un déclin constaté sur l’ensemble du territoire dans les années 80, le choucas des tours a été inscrit sur la liste des espèces protégées à l’échelle nationale. A ce jour, il demeure « quasi menacé » sur la liste rouge des oiseaux d’Alsace et du Poitou–Charente. Cette protection lui a permis de se redévelopper sur les territoires. Le choucas, initialement inféodé aux biotopes des falaises, a migré vers les villes et les zones agricoles, causant des conflits avec les agriculteurs et riverains. L’oiseau, bruyant et noir – donc très visible – est friand d’insectes et de maïs. Il s’est rapidement fait remarquer. En Bretagne, les premières demandes de dérogation à la protection stricte de l’espèce sont arrivées en 2017 afin de prélever une centaine d’individus. Depuis, elles se sont multipliées pour atteindre 30 000 individus en 2021.

"Quantifier et qualifier les dégâts jusqu’alors difficiles à estimer sur le terrain. Le maïs est apparu comme la pierre angulaire du régime alimentaire du choucas, d’autant plus en hiver où l’espèce trouve ses provisions dans les chaumes de maïs, dans les déjections animales ou dans les ensilages. Un bémol néanmoins : au printemps et donc à l’époque des semis, le Choucas passe beaucoup plus de temps dans les prairies que sur les parcelles cultivées, 300 minutes contre 30 minutes."
Sébastien Dugravot

Lors de ses recherches, Sébastien Dugravot a étudié l’usage de l’habitat agricole par le choucas. Adulte, ce dernier s’est aussi révélé sédentaire, limitant ses déplacements entre son lieu de reproduction et son lieu d’approvisionnement. Un plan d’action régional est en cours de développement afin de limiter l’accès des centre-bourgs à l’espèce en bouchant certaines cheminées. Des méthodes répulsives sont employées sur les intrusions de parcelles par les corvidés, mais « l’insatisfaction des agriculteurs persiste ».

  • 2 – Les lémurs bruns à Mayotte : évolution des modèles agricoles, évolution des perceptions

Les lémurs bruns, présents à Mayotte depuis le 8ᵉ siècle, sont arrivés avec les premières populations humaines d’origine malgache. Ils étaient initialement consommés mais leur relation avec les humains a évolué, oscillant entre chasse et protection. Le lémur brun est considéré comme animal « totem » par les populations locales. Durant la seconde moitié du XXème siècle, la déforestation a progressivement réduit le couvert forestier naturel et les lémurs s’y sont adaptés, exploitant les forêts secondaires et les parcelles agro-forestières pour se nourrir. Leur population a néanmoins chuté de près de la moitié en 10 ans sur l’île, atteignant 28 000 individus en 2008, leur population étant stabilisée depuis.  

"Les lémurs sont devenus très visibles dans les zones agricoles, créant l'impression d'une population croissante aux abords des zones cultivées. L’espèce est classée "vulnérable" depuis 2018."
Bruno Simmen
" Il y a encore quelques décennies, on ne parlait pas d’agriculteurs, ni même de cultivateurs, mais de jardiniers. Tous les Mahorais avaient une parcelle familiale pour cultiver. Ce sont des agro-forêts : une multitude de cultures maraîchères, et d’arbres fruitiers propices au maintien de l’humidité et de la fraîcheur. Dans ces régions au climat tropical, c’est la manière de cultiver idéale."
Claire Harpet

L’agroforesterie mahoraise, une pratique traditionnelle qui maintient une grande biodiversité grâce à des parcelles mixtes d’arbres fruitiers et de cultures vivrières, résiste à la standardisation agricole. La transition vers des schémas agricoles plus productivistes fragilise la coexistence avec les lémurs, car elle altère la perception traditionnellement plutôt favorable des animaux par les cultivateurs. Pour poser des diagnostics, l’étude menée par Bruno Simmen et Claire Harpet s’est notamment intéressée à l’écologie alimentaire de cette espèce afin d’estimer la quantité de fruits prélevée, une donnée attendue par les pouvoirs publics préalable à d’éventuelles compensations financières. La méthodologie innovante utilisée dans le cadre de cette étude, via l’écophysiologie (besoins énergétiques des animaux comparés aux apports énergétiques), pourrait être utilisée dans d’autres systèmes ou sur d’autres espèces de primates colonisant des écosystèmes tropicaux anthropisés.

  • 4 – Le castor en France : de la quasi-extinction à un retour progressif

Lors de cette rencontre, Rémi Luglia a retracé l’histoire mouvementée du castor, de la quasi-disparition en Europe à la fin du XIXe siècle jusqu’à son retour assez généralisé aujourd’hui. Selon ce chercheur, le castor, autrefois nuisible et chassé, a commencé à être perçu différemment grâce aux efforts des naturalistes et des scientifiques. Ces derniers ont œuvré pour préserver cette espèce en tant que patrimoine naturel. En 1909, les premiers arrêtés de protection du castor voient le jour, ouvrant la voie à des réserves naturelles et à des projets de réintroduction, d’abord en Finlande, puis en France dès 1957.

"Les solutions sont complexes, car elles impliquent non seulement des aspects écologiques, mais aussi culturels et sociaux, en tenant compte de l'attachement des communautés locales à leur environnement. J’appelle de mes vœux une meilleure compréhension du vivant, en reconnaissant que ces animaux, bien plus que des éléments de l’écosystème, sont aussi des êtres sensibles avec lesquels l'humanité partage un lien vital."
Rémi Luglia

Rémi Luglia a souligné que le retour du castor, dont la population est aujourd’hui estimée à 25 000 individus en France engendre des questionnements sur les relations qu’entretiennent les humains avec le sauvage. « Une amnésie générationnelle fait oublier aux humains l’existence historique de cet animal sur leur territoire. Ce retour remet en question les perceptions humaines, souvent fixées sur un environnement perçu -à tort- comme immobile et contrôlé », a-t-il dit lors de la Rencontre. Pour lui, le castor est bien plus qu’un simple « nuisible » : il contribue à la renaturation des cours d’eau, aide à lutter contre la sécheresse, et pose la question d’une coexistence plus harmonieuse avec la nature.

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