Ce que la bioacoustique révèle ? Les animaux parlent bien plus qu’on ne l’imagine

Le pôle Nature de la Fondation François Sommer a organisé mercredi 31 mai 2023 la 2ème rencontre Homme-Nature. Devant près de 110 personnes, Nicolas Mathevon, chercheur de renommée internationale, a tenu une conférence sur « Les voix de la nature : comment la bioacoustique révèle la sophistication des communications animales ». (Re)découvrez ici l’essentiel.

Nicolas Mathevon - les rencontre Homme Nature

Ouvrez grand vos oreilles ! Oui, les animaux parlent et leurs communications étaient au cœur de la 2ème rencontre Homme Nature organisée par la Fondation François Sommer, le 31 mai dernier. Comment les scientifiques se penchent-ils sur les voix de la nature ? Grâce à la bioacoustique. « C’est l’étude des communications sonores des animaux. Un domaine très vaste ! » a résumé Nicolas Mathevon d’emblée lors de la conférence.

Ce professeur de l’université de Saint-Etienne, explorateur à la National Geographic Society et membre senior de l’Institut universitaire de France (entre autres) a pour sympathique métier de parcourir le monde, microphones en main, pour étudier les cris des éléphants de mer, des hippopotames, des crocodiles ou autres fauvettes.

Retrouvez dans cette vidéo toute la conférence, avec les questions-réponses du public et de Loïc Mangin, rédacteur en chef adjoint des Hors-série de « Pour la science ». Sans oublier 7 points clés ci-dessous.  

 

"Les objectifs de ce cycle de rencontres Homme Nature consistent à partager le savoir sur des thématiques environnementales d’actualité ou de débattre entre scientifiques, spécialistes de l’environnement et tous les usagers de la nature. Il s’agit aussi de valoriser les projets de mécénat scientifique soutenus par la Fondation François Sommer, mais aussi de mettre à l’honneur les porteurs de ces projets et nos lauréats. Enfin, il s’agit de s’adresser à un public aussi large que possible, que vous représentez parfaitement ce soir."
Alban de Loisy
Directeur général de la Fondation François Sommer

1 - L’identité de la paruline à sourcils blancs codée dans son chant (en tant qu’espèce)

Dans un chant d’oiseau, toute l’identité de son espèce est codée. Nicolas Mathevon l’a prouvé avec la paruline à sourcils blancs. « Nous avons enregistré un certain nombre de chants de cet oiseau territorial pour les comparer. Nous avons alors déterminé un dénominateur commun à ces chants : un son qui descend », a expliqué Nicolas Mathevon. Une pente que l’on voit dans le visuel ci-dessous.

Le chercheur et ses équipes ont ensuite vérifié cette hypothèse : « cette descente régulière observée code l’identité de la paruline ». Pour y répondre, ils ont modifié, puis créé totalement par ordinateur ce chant (chant synthétique). Ils ont ensuite diffusé ces sons au haut-parleur dans les espaces naturels où se trouvent des parulines.

Conclusion ? « Nous avons montré que modifier de quelques pour cent cette pente descendante suffit à changer l’information : je suis une paruline à sourcils blancs », a-t-il affirmé. Autrement dit, c’est bien cette descente en fréquence des notes qui codent l’identité de la paruline, et ce « à plus de 100 mètres ».

2 - L’identité de la paruline à sourcils blancs codée dans son chant (en tant qu’individu)

Autre question abordée lors de la conférence : les parulines savent-elles se reconnaître individuellement ? « Le chant de la paruline présente des irrégularités typiques pour chaque individu. C’est sa signature », a précisé Nicolas Mathevon. Une signature reconnaissable d’un individu à l’autre et enregistrable.

Les chercheurs ont modifié très légèrement la fréquence afin de gommer cette irrégularité, puis ont fait écouter ce chant (modifié) au haut-parleur à une paruline voisine qui connaissait l’individu (et son chant). Sa réaction n’est plus la même ! Autrement dit, d’ordinaire, la paruline à sourcils blancs reconnait le chant de son voisin. Quand un haut-parleur joue le son modifié, la paruline voisine réagit comme face à un oiseau inconnu, avec plus d’agressivité.

3 – Du cri de contact au cri de détresse, les réactions adaptées des crocodiles face au danger

Nicolas Mathevon, au cours de ses explorations, a démontré que même à l’état d’embryons matures dans l’œuf, les cris du jeune crocodile suscitent les soins adéquats chez ses parents. Bien mieux, « des cris d’éclosions synchronisent les éclosions aux alentours », a-t-il observé. Autre exemple : si l’on enterre sous le sable un haut-parleur qui émet un cri d’éclosion, la mère crocodile se met à creuser le sable jusqu’à trouver ledit œuf (qui n’y est pas, bien entendu).

Autres études : grâce à un haut-parleur sur un bateau, les chercheurs ont fait écouter deux types de sons aux jeunes crocodiles et à leurs mères dans une mare :

  • Un cri de contact. C’est-à-dire, le cri poussé par les jeunes crocodiles en cas de rencontres.
  • Un cri de détresse. C’est-à-dire, le cri poussé par les jeunes crocodiles en cas d’attaque de prédateurs.

Les réactions furent fortes intéressantes :

  • A l’écoute du cri de contact au haut-parleur, la mère, habituée, ne réagit pas et les jeunes crocodiles accourent, curieux.
  • A l’écoute du cri de détresse, les petits ne bougent plus et se cachent ; la mère accourt et attaque avec agressivité.
 

Ce que nous montre l’exemple de ces crocodiles ? « Certains animaux peuvent émettre des vocalisations gradées, allant du cri de contact au cri de détresse. Ce continuum permet de coder son niveau de stress, du plus faible au plus fort. C’est une information dynamique qui sera interprétée par les récepteurs (les jeunes et les mères) avec une réponse adaptée à ces signaux », a résumé Nicolas Mathevon, à l’appui de nombreuses vidéos projetées durant la conférence.

4 – De dominant à dominé, il n’y a qu’un clac chez l’éléphant de mer

Près de Santa Cruz (Californie), Nicolas Mathevon a étudié une autre population : les éléphants de mer. Durant leur période de reproduction, de novembre à février, les hiérarchies sociales sont très marquées et la concurrence rude entre les mâles. Pour limiter les combats qui peuvent être féroces, les éléphants de mer se jaugent… à la voix !

« Nous avons fait émettre via un haut-parleur le cri d’un mâle dominant près d’un dominé. La fuite fut son comportement de réaction. A ce même individu, nous avons fait écouter le son d’un plus dominé que lui. Il a montré un comportement agressif », a partagé à l’audience Nicolas Mathevon. Chez l’éléphant de mer, le rythme dans les claquements est responsable de l’identité individuelle de l’éléphant de mer. Modifier ce rythme et on perd la réponse comportementale.

5 – La bioacoustique pour faire fuir les chevreuils à l’avant des trains de la SNCF

Comment faire fuir le chevreuil à l’avant des trains ? C’est une thèse appliquée, financée par la SCNF et menée par une doctorante dans son laboratoire de Neuro-Ethologie Sensorielle de l’université de Saint-Etienne (CNRS, Inserm).

« Nous travaillons à faire fuir ces cervidés à partir d’un cri de détresse avant l’arrivée du train. Le problème est qu’il y a une habituation qui vient vite. Nous devons travailler sur un ensemble de signaux, suffisamment variés, pour ces animaux s’enfuient quand on propage ce son », a-t-il mis en perspective. Sans oublier de trouver un moyen pour fixer un dispositif sonore à lavant des trains, à pleine vitesse. « Ce qui est plutôt le problème de la SNCF ! » a-t-il plaisanté.

Et aussi : les prochaines rencontres Homme Nature, à vos agendas !

28 septembre 2023 – sur l’histoire de la protection des oiseaux (informations à venir). Une rencontre-débat organisée avec la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN) et l’Association pour l’Histoire de la Protection de la Nature et de l’Environnement, dans le cadre du colloque « Défendre la nature », marquant les 100 ans du 1er Congrès international pour la protection de la nature (Paris, 1923). Aurélie Luneau, journaliste à France Culture, animera les échanges entre Pierre-Yves Henri, professeur au Musée national d’Histoire naturelle, Jean Jalbert, directeur général de l’institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes la Tour du Valat et Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement à l’université de Paris.

Novembre 2023 – sur « Le sanglier, brandon de discorde dans nos campagnes ». Quel dialogue possible entre les citoyens, acteurs publics, associatifs, chasseurs sur la question du sanglier ? Comment mieux comprendre sa densité en hausse ? Une rencontre-débat au cœur de l’actualité environnementale et rurale. Plus d’informations à venir…

6 - De la bioacoustique, des rats et de la médecine

Autre application : le domaine médical ! « Nous étudions en ce moment les effets de la fragmentation du sommeil sur la vocalisation des rats », a annoncé Nicolas Mathevon. Son laboratoire étudie ces rongeurs et comment leur répertoire vocal évolue en fonction du manque de sommeil. Objectif ? Déterminer les éventuelles maladies neurodégénératives provoquées par ce manque de sommeil à partir de la voix, puis en étudiant leur cerveau dans un second temps.

« On a observé que les rats souffrant d’un sommeil fragmenté produisent moins de vocalisations à cause avec leur fatigue », a-t-il dit en guise de première piste. Des analogies pourraient être dévoilées entre l’état de fatigue, la santé et l’état du répertoire vocal de l’individu.

7 – Avec de l’IA, un champ des possibles pour l’étude de la biodiversité

La bioacoustique permet d’étudier autrement la biodiversité dans un espace naturel. Le chercheur a notamment cité, lors de cette conférence, deux projets en cours. Le premier concerne le lagopède Alpin. « Avec l’OFB, nous avons posé près de 200 capteurs dans les Pyrénées et les Alpes afin de suivre ces populations via l’acoustique », a-t-il résumé.

Second projet : « Nous pouvons étudier un paysage sonore dans son ensemble. Dans la forêt par exemple, on enregistre les insectes, les chauves-souris, toute la faune… Avec beaucoup d’intelligence artificielle (IA), on analyse ensuite ces données pour mieux comprendre l’état de la biodiversité », a-t-il expliqué à l’appui d’un projet en cours mené au Mozambique. « On peut suivre la dynamique sonore et la biodiversité acoustique d’un environnement », a-t-il conclu en précisant que ces projets nécessitent d’importants moyens pour stocker et analyser les data.  

Pour en savoir plus

  • Le livre pour adultes « Les animaux parlent. Sachons les écouter« , Nicolas Mathevon, éditions Humensciences, 2021. Version en anglais:  « The voices of Nature. How and why animals communicate« , Princeton University Press, 2023.
  • Le livre à partir de 7 ans : « Découvre le langage des animaux avec Nicolas Mathevon », Editions Plume de Carotte, 2023.
  • La série de 8 podcasts « Les animaux parlent » : https://podcast.ausha.co/des-baleines-sous-les-gravillons/s02e113-les-animaux-parlent-1

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