Maurice Genevoix entre au Panthéon

Le cycle des commémorations de la Première guerre mondiale se conclut ce mercredi 11 novembre, avec l’entrée au Panthéon de l’auteur de « Ceux de 14 » et le centenaire du Soldat inconnu. Ce lundi 9 novembre 2020, la France célèbre également le 50ème anniversaire de la mort de Charles de Gaulle, fondateur de la France libre. Deux événements, deux commémorations qui résonnent pour la Fondation François Sommer dont le fondateur était compagnon de la Libération et ami de l’écrivain. En témoigne la contribution de Maurice Genevoix au « Tombeau de François Sommer« , au lendemain de la mort de ce dernier. Nous publions son texte ci-dessous, à la suite de la notice biographique parue sur le site du ministère de l’Education nationale.

Né en 1890 à Decize, dans la Nièvre, Maurice Genevoix suit sa famille qui s’installe dans le Loiret l’année suivante. Son enfance, son adolescence et une grande partie de sa vie d’adulte passées dans le Val de Loire marqueront son œuvre littéraire. Élève brillant, pensionnaire au lycée Lakanal de Sceaux, il entre par la suite à l’Ecole normale supérieure de Paris et se destine à une carrière universitaire littéraire lors que la guerre éclate à l’été 1914. Mobilisé, il est envoyé au front comme sous-lieutenant dans l’infanterie.

L’épreuve de la guerre

Jeune officier, Maurice Genevoix découvre la guerre dès le déclenchement des hostilités. Dans son uniforme bleu et rouge, il fait partie des premiers combattants de la Grande Guerre, « ceux de 14 » pour reprendre le titre de ce qui sera bientôt une de ses œuvres les plus célèbres. Au sein de la IIIème armée française, la compagnie de Maurice Genevoix se bat dans les Ardennes puis retraite sur Verdun avant de participer à la 1ère Bataille de la Marne qui marque l’échec du plan « Schlieffen-Moltke » prévoyant une invasion rapide de la France. Dans les mois qui suivent, le lieutenant Genevoix et ses compagnons d’armes de la IIIème Armée, commandée par le général Sarrail, participent aux combats dans la Meuse. Depuis février 1915, Français et Allemands s’affrontent très violemment pour prendre le contrôle d’une position stratégique (crête des Éparges) qui offre un observatoire naturel sur la plaine de Woëvre, à l’est de Verdun. Les lieux sont pris et repris par les deux adversaires, au prix de lourdes pertes causées notamment par l’artillerie et les mitrailleuses. Lors de ces terribles combats, Maurice Genevoix perd des amis. Il est lui-même grièvement blessé à quelques kilomètres de là, à Rupt-en-Woëvre, le 25 avril 1915. Atteint de trois balles, il est évacué et passe de longs mois dans des hôpitaux militaires. Il en ressort en 1916, invalide à 70%, n’ayant notamment plus l’usage de sa main gauche.

Le récit des combats

De retour à Paris, il renonce à sa carrière universitaire pour se consacrer à l’écriture. Il décide de témoigner sur son expérience de la guerre, utilisant les nombreuses notes prises lorsqu’il était au front, écrit, jusqu’en 1923, cinq volumes (qui seront rassemblés bien plus tard, en 1949, sous le titre de « Ceux de 14 ») offrant un récit très précieux sur la vie des soldats de la Grande Guerre. Tandis que certains grands écrivains disparaissent dans le tourbillon de la Grande Guerre, tels Charles Péguy et Alain-Fournier (tués à l’ennemi en 1914) ou Guillaume Apollinaire (mort pour la France en 1918), Maurice Genevoix fait partie des « survivants », tels Henri Barbusse (« Le Feu », 1916), Georges Duhamel (« Civilisation », 1918), Roland Dorgelès (« Les Croix de Bois », 1919) qui emploieront leurs qualités littéraires pour s’attacher à relater le quotidien des soldats. En 1929, dans un essai intitulé « Témoins », l’écrivain Jean Norton Cru étudie de façon très critique les différents témoignages publiés sur la Grande Guerre. Il rend alors hommage au réalisme des écrits de Maurice Genevoix, disant de ce dernier qu’il est « le plus grand peintre de la guerre ».

L’écrivain et l’académicien

Inscrivant son œuvre dans le mouvement réaliste (Balzac, Maupassant…), Maurice Genevoix écrit, par la suite, de nombreux ouvrages ayant souvent pour cadre la nature du Val-de-Loire qu’il décrit avec un très grand souci du détail (mais aussi des paysages de l’Amérique et de l’Afrique, découverts lors de plusieurs voyages). On citera notamment « Raboliot », qui lui vaut le prix Goncourt en 1925. Il est reçu en 1947 au sein de l’Académie française et en devient même le Secrétaire perpétuel de 1958 à 1973. Il décède en 1980.

François Sommer tel que je l’ai connu, par Maurice Genevoix (Tombeau de François Sommer, janvier 1973)

Le légitime hommage qui doit être rendu à François Sommer ne peut l’être, l’amitié y étant pleinement engagée, que par une suite d’approches diverses, et dont chacune porte avec elle sa propre justification. Je le sens d’autant plus vivement qu’un des traits les plus évidents d’une personnalité si riche, si sensible et si forte, je le vois dans une lucidité instinctive, si naturelle et si pénétrante qu’elle devait entraîner un tel homme non certes vers le refus, mais vers un retrait pareillement instinctif, une pudeur virile et comme une sauvagerie où la générosité la plus vive se confond paradoxalement avec la modestie la plus vraie.

L’amitié qui m’a lié à lui n’a jamais comporté qu’un regret : celui que la destinée ne me l’ait pas donnée plus tôt. Mais les vraies amitiés n’ont pas d’âge. Aussi bien les plus émouvantes gardent-elles une part d’inconnu, une marge de découverte inépuisablement renouvelée, en accord avec le mouvement même de la vie. D’autres diront ici l’homme d’action, le grand patron, le patriote et le soldat : autant de témoignages, assurément, qui donneront à mesurer mieux, dans leur diversité manifeste et leur unité profonde, ses dons de sympathie, son attention scrupuleuse à autrui, son désintéressement, sa bravoure, son admirable fermeté morale. Ce que je voudrais dire, témérairement peut-être, c’est l’accord chaleureux auquel je faisais allusion.

François Sommer était de ces hommes, rares et de plus en plus rares, qui ne se départent jamais de leur liberté essentielle, parce que justement cette liberté intérieure et secrète est d’abord un consentement. Peut-être s’agit-il là, originellement, d’un don d’enfance presque universellement partagé, mais trop vite et trop généralement perdu ; plus vite encore et plus généralement dans les sociétés d’aujourd’hui. Le grégarisme, les carcans administratifs, les mass media, leur contagion instantanée précipitent une évolution dont on commence à s’apercevoir qu’elle est un appauvrissement. Servitude, alignements, habitudes insidieusement acquises des réflexes conditionnés, autant d’atteintes à la liberté intérieure qui sauvegarde l’individu et qui assure sa dignité.

Mais où vais-je m’égarer, si toutefois c’est là m’égarer ? Je pense que non. Je reste avec François Sommer. Ce don d’enfance, toujours précaire, toujours menacé, même avant nos réformateurs en mal de caporaliser la « créativité » enfantine, il avait su le préserver en lui. Homme social, animé d’un esprit civique exemplaire, il n’a jamais marchandé sa peine, éludé ses responsabilités. Mais cette conscience et cette loyauté, pleines et entières, engagées à fond, n’ont jamais compromis cette disponibilité intérieure où l’homme libre se reconnaît.

Je ne crois pas – et c’est ici peut-être que je vais me montrer téméraire – je ne crois pas qu’il ne s’agisse jamais, le moins du monde, d’une sorte de dualité. Je crois qu’il s’agit du contraire : le voyageur, le fervent de la jungle africaine et de la forêt ardennaise, le mécène de l’hôtel Guénégaud, l’admirateur d’Oudry et de Chardin, c’est le même homme, le même vivant accordé au monde, j’oserai écrire sans ombre de paradoxe : le même poète.

Peut-être cela est-il dû à un fonds d’énergie invincible que les épreuves librement acceptées, affrontées ne devaient jamais entamer. Ainsi a-t-il pu mériter de rester le grand vivant que nous avons connu et aimé. J’ai bien dit « mériter ». Car il n’est pas question ici de privilège, mais de maintenance, et quelquefois de reconquête. C’est pourquoi la ligne de cette vie prend à mes yeux une valeur singulière, et dont je crois qu’elle sera durable : la mort n’interrompt pas la mission des intercesseurs et le bienfait de leur exemple.

 

 

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