Entre le 7 août et le 9 septembre, la Fondation François Sommer et l’Administration nationale des Aires de Conservation (ANAC) du Mozambique ont procédé à la translocation de 200 buffles sauvages de la Réserve spéciale de Marromeu jusqu’au Parc national de Gilé, avec le soutien financier de Biofund (Programme Promove Biodiversidad – Union Européenne). Objectif : renforcer la population présente de cette espèce emblématique. A plus long terme, contribuer à la réhabilitation d’une grande aire protégée de forêt de miombo, cogérée par la Fondation François Sommer.
Crédit photos : Q. Ebrard / Fondation François Sommer.
Une translocation consiste à déplacer des animaux sauvages à forte valeur patrimoniale ou écologique (buffles, rhinocéros, éléphants, grands prédateurs…) d’un espace naturel où leur population est abondante vers une zone où elle a disparu ou a été affaiblie. Lorsque les principales causes de disparition de la faune sauvage ont été enrayées dans la zone d’accueil (braconnage, disparition des habitats…), les professionnels de la conservation réalisent ce type d’opération pour reconstituer des populations naturelles.
La Fondation François Sommer et ses partenaires ont réalisé en août une translocation exceptionnelle par son envergure : près de 200 buffles ont été capturés dans la Réserve de Marromeu (delta du Zambèze), où leur population est estimée à 30 000 individus, et transportés par camions à 700 km plus au nord, pour être relâchés dans le Parc national de Gilé. Cette opération ambitieuse, qui s’est achevée par une ultime capture le 9 septembre, a mobilisé pendant un mois entier une équipe d’une cinquantaine de professionnels (rangers, vétérinaires, pilotes, chauffeurs…), un hélicoptère et de nombreux camions, spécialement conçus pour le transport d’animaux sauvages.
A ce jour, c’est d’ailleurs l’une des plus importantes translocations de buffles jamais réalisée au Mozambique. Elle vient compléter les deux premières, effectuées en 2012 et 2013 – et déjà pilotées par les équipes de la Fondation – qui ont abouti à la reconstitution d’un premier noyau de 150 individus. Cette translocation 2024 visait à plus que doubler les effectifs, assurant une base d’avenir pour le bon développement de l’espèce dans le Parc. En moyenne, le taux d’accroissement naturel de l’espèce est de 10-12% par an.
D’un point de vue écologique, le buffle contribue à maintenir un équilibre sur les territoires qu’il occupe. C’est une « espèce ingénieure des écosystèmes », car elle façonne les habitats de savane en pâturant les herbes hautes, facilitant ainsi l’accès pour d’autres herbivores. Elle modifie de façon importante son environnement au point d’avoir un impact sur les populations d’autres espèces. Sur le plus long terme et en grand nombre, elle sera une ressource alimentaire vitale pour les populations de grands carnivores.
Une partie des équipes de la société de capture Endeavour Wildlife Management Services.
Le buffle d’Afrique australe.
Pose de collier GPS sur certains buffles.
« Ces translocations ont un coût élevé et nécessitent une technicité de haut niveau. L’enjeu écologique est de taille : renforcer cette population dans le Parc national où certains animaux avaient disparu. » témoigne Thomas Prin, docteur en écologie du buffle et conseiller technique à la Fondation François Sommer en charge de la translocation. Cette opération exemplaire a reçu l’appui financier de l’Union Européenne, par l’intermédiaire de la Fondation Mozambicaine pour la conservation de la Biodiversité Biofund.
La faune sauvage du Parc national de Gilé a beaucoup souffert des années de guerre d’indépendance (1964–1974) et de guerre civile (1976–1992). De nombreux groupes armés venaient en effet s’y fournir en viande. Les habitants y chassaient aussi pour survivre. A l’issue des conflits, plusieurs espèces avaient totalement disparu du Parc : le buffle, le zèbres de Crawshay ou encore le gnou. Le cobe à croissant, le phacochère, le Grand koudou, l’antilope sable, le bubales du Lichtenstein et autre guib harnaché ont survécu en faible densité.
Cérémonie avant la translocation avec les communautés locales et le chef traditionnel (régulo).
La boma de capture. C’est un enclos où l’hélicoptère, tel un chien de berger, pousse les buffles dans un entonnoir de tissu et de métal, directement vers les camions.
Ce genre d’opération permet aux communautés de bénéficier d’infrastructures, avec ici la création d’une piste de 50 km ou encore la création d’un pont.
Le buffle d’Afrique australe
Le Syncerus caffer caffer, ou buffle d’Afrique australe, est un animal grégaire, différenciable des autres buffles à la double bosse dont il dispose à la base des cornes, à son pelage noir et à sa taille imposante. C’est un « paisseur ». C’est-à-dire qu’il se nourrit principalement d’herbes de moyenne qualité et de différentes tailles. Selon les conditions, il peut également être « brouteur », c’est-à-dire consommer des feuilles d’arbre, notamment en saison sèche. Les femelles pèsent en moyenne entre 400 et 450 kg, contre 600 kg pour les mâles. Certains atteignent les 800 kg.
Des objectifs écologiques
Par manque de proies, les populations de grands prédateurs ont également diminué. Les lions et lycaons ont disparu. Des léopards et des hyènes subsistent en effectifs réduits. A l’avenir, des réintroductions de prédateurs sont prévues, mais seulement lorsque les effectifs des proies le permettront. L’un des objectifs de la Fondation François Sommer, en lien avec les autorités mozambicaines, est d’augmenter les effectifs de tous les animaux sauvages et de réintroduire ces espèces disparues.
Sur du long terme, ces opérations doivent aussi contribuer au développement économique et social des communautés rurales vivant en périphérie du Parc. Cette translocation est une nouvelle étape vers un programme ambitieux de dix ans, en cours d’élaboration avec le gouvernement, afin de poursuivre la réhabilitation de l’ensemble des écosystèmes du Parc.
A son échelle, cette intervention est une contribution substantielle à la mise en œuvre du cadre de référence mondiale pour la biodiversité de Kunming – Montréal, ratifié en novembre 2023 et en particulier de sa cible 3 : au moins 30 % des zones terrestres d’une grande importance pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, soient dûment conservées et gérées.
Le trajet des camions commence. Au total, 700 km de routes difficiles entre Marromeu et Gilé.
A l’arrivée, dans l’enclos de relâché (boma), une cérémonie officielle avec notamment Alexandra Jorge, directrice chez Biofund, Pejul Calenga, DG de l’ANAC, Cristina de Jesus, secrétaire d’Etat de la province du Zambèze et João Juvêncio Muchanga, Administrateur du Parc national de Gilé.
Après ce voyage éprouvant de 30h, les buffles sont relâchés dans une boma, où ils se restaurent quelques heures avant de gagner leur nouvel habitat naturel.
Le saviez-vous ?
Au Mozambique, le Parc national de Gilé, cogéré par la Fondation François Sommer et l’ANAC, est un joyau de biodiversité de 439 000 hectares, soit l’équivalent de la moitié de la Corse. Ce Parc héberge près de 68 espèces de mammifères dont des éléphants, zèbres de Crawshay, buffles, Grand koudou, bubales du Lichtenstein… et près de 228 espèces d’oiseaux. Près de 30 000 personnes vivent en périphérie du Parc et plus de 120 collaborateurs travaillent à protéger sa faune sauvage et sa flore.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur la chaîne Youtube de la Fondation François Sommer et sur le site internet du Parc national de Gilé.