Espèce invasive pour les uns, animal mythique pour les autres… Quels éclairages les scientifiques peuvent-ils apporter aux gestionnaires des territoires ruraux et des espaces naturels sur le sanglier, cette espèce dite « à perception différenciée » ? Que retenir de la 4ème Rencontre Homme Nature organisée par la Fondation François Sommer mercredi 22 novembre 2023, en présentiel et distanciel au musée de la Chasse et de la Nature à Paris ? Regards croisés.
(Re)découvrez cette conférence en vidéo...
... et 9 idées-clés dans le résumé ci-dessous
Le sanglier, animal symbole du sauvage, nécessaire aux écosystèmes et au cœur de pratiques de chasses assidues, est devenu un véritable « phénomène de société ». Les dommages qu’il cause aux activités humaines – sécurité routière et agriculture en particulier – ne cessent de faire couler de l’encre.
Des chercheurs se passionnent pour cette bête mythique au travers de programmes de recherches, allant de la dynamique des populations à l’écologie spatiale en passant par des enquêtes sociologiques pour mieux comprendre comment il recompose les relations sociales dans les territoires ruraux. En vidéo, (re)découvrez notamment ces experts et scientifiques :
- Eric Baubet, chargé de recherche sur les ongulés sauvages et référent sanglier à l’Office Français de la Biodiversité (OFB).
- Marlène Gamelon, biodémographe, chargée de recherche au CNRS et chercheuse associée à l’Université norvégienne de Trondheim, spécialiste du sanglier.
- Raphaël Mathevet, écologue, géographe, directeur de recherche CNRS et auteur de « Sangliers, géographies d’un animal politique» (Actes sud avec Roméo Bondon).
- Franck Vital, ingénieur à la Fédération Départementale des Chasseurs de la Loire, responsable des études environnementales et des dégâts de gibiers.
Une table-ronde animée par Coralie Schaub, journaliste environnement à Libération et autrice de « François Sarano, réconcilier les hommes avec la vie sauvage » (Actes sud).
1 – Le sanglier, un animal-mythique devenu animal-problématique ?
En quelques décennies, la perception du sanglier a évolué. Jusqu’au lendemain de la 2nde Guerre Mondiale, il était recherché par les naturalistes et les chasseurs, en symbole de la faune sauvage. « Dans la mythologie grecque, il était envoyé par les déesses pour ravager les champs quand les offrandes étaient insuffisantes, comme d’autres grands gibiers, le cerf ou le chevreuil. Il est l’animal qui fuit, mais sa singularité, c’est qu’il est aussi un animal qui résiste. A l’aide de ses défenses, il affronte et blesse ses assaillants », a rappelé Raphaël Mathevet.
« Pourquoi a-t-il été déclassé ? Pourquoi est-il devenu une espèce commune, une espèce de ‘’pare-chocs’’, de ‘’bord de routes’’ ou un problème pour les gestionnaires d’espaces naturels ? » a-t-il encore questionné.
2 – Le sanglier, « ingénieur de l’écosystème »
Pour les écologues, il ne faut pas oublier que le sanglier est un animal typique de nos formations forestières, et qui a toute « sa légitimité » dans le cortège d’espèces qui y sont présentes. C’est même une espèce dite « ingénieur de l’écosystème ». Il va agir et modifier son environnement, creuser, fouiller, retourner les sols, créer des couches et des chaudrons de mise bas pour les marcassins. Il participe aussi activement au transport et à la dissémination de graines, spores et autres propagules animales ou végétales. Par ses souilles, il crée des dépressions et des milieux humides favorables à la faune, a rappelé Eric Baubet (OFB).
3 – « Pas de surpopulation »… du point de vue des écologues
Le sanglier n’est pas en surpopulation du point de vue démographique. « Pour parler de surpopulation en biologie, la capacité d’accueil du milieu doit être atteinte, les populations sont alors régulées par densité dépendance. Cela correspond au stade où les individus, trop nombreux, entrent en compétition pour l’accès aux ressources et à l’espace qui deviennent alors limitants. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui en France », a expliqué la scientifique Marlène Gamelon (CNRS).
Pour avoir une tendance d’évolution des effectifs de sangliers, la donnée la plus fiable reste le suivi des tableaux de chasse annuels, en hausse en France comme dans beaucoup de pays en Europe. Pour mémoire, 800 000 sangliers ont été prélevés en 2021-2022 au niveau national par les chasseurs, selon l’Office Français de la Biodiversité (OFB), contre 82 072 sangliers prélevés à la chasse en 1983.
4 – Un « dynamiteur de relations sociales » sur les territoires ruraux
Au-delà des définitions de biologistes, la question de la surpopulation est aussi sociale, en lien avec les activités humaines. « Aujourd’hui, face à des fortes densités de sangliers les acteurs locaux (agriculteurs, chasseurs, gestionnaires d’espace naturel) expriment leur ressentis, ils parlent alors de surpopulation, de prolifération voire de pullulation. La vérité est que cet animal remet en cause les rapports sociaux établis et vient questionner la paix sociale dans les campagnes » a nuancé Raphaël Mathevet. Dans de nombreuses régions, le sanglier était rare, voire absent. Son retour en force interroge quant au niveau de dégâts agricoles, forestiers, domestiques et routiers que la société est prête à accepter.
La question de sa régulation par les chasseurs se pose. Répondant à une demande administrative de faire plus de battues, ces derniers deviennent plus présents et visibles sur les territoires (gilets fluorescents, panneaux, etc.). Ils se heurtent à l’aversion à la chasse d’autres usagers de la nature, particulièrement dans les zones périurbaines.
5 – Un retour favorisé par l’Homme ? Mais pas que…
Ensemble, chercheurs et spécialistes ont énuméré une liste à la Prévert des raisons historiques et politiques expliquant l’incroyable dynamisme des populations de sangliers en France mais aussi à travers l’Europe :
- Développement d’une agriculture céréalière, notamment du maïs, favorable au développement de l’espèce au lendemain de la 2nde Guerre Mondiale ;
- Développement forestier avec aujourd’hui, plus de 30% de couvert forestier en France, où il trouve habitat, gîte et nourriture ;
- Désertification rurale et déprise agricole ;
- Abandon du droit d’affut et transfert du droit de chasse des agriculteurs vers les chasseurs, par une loi datant de 1969, avec à la clé un système d’indemnisation mutualisé à un échelon départemental.
- Politiques actives de développement de l’espèce de la part des fédérations des chasseurs comme de la puissance publique : plans de chasse, lâchers dans les années 60, accompagnement zootechnique par la recherche publique, pratiques de chasse conservatrices promues par les institutions cynégétiques…
- Disparition des grands prédateurs : loup…
- Etalement urbain et déploiement des infrastructures humaines rendant difficile la régulation pour des raisons de sécurité.
- Changement climatique, avec des hivers moins rigoureux.
6 – Le sanglier et son incroyable plasticité
Le sanglier a de fascinantes capacités d’adaptation à son milieu. Les chercheurs utilisent d’ailleurs le terme de « plasticité » à son égard. Omnivore, il se nourrit d’une grande variété d’aliments sur tout le territoire : glands, céréales, insectes, œufs d’oiseaux… Bien plus, le sanglier accélère son cycle de vie en réponse à la forte pression de chasse avec une démographie alors comparable à celle d’une mésange. « Le sanglier peut se reproduire plus tôt. Dans des populations fortement chassées, on observe une reproduction à partir d’un an pour les femelles, contre deux ans dans une population peu chassée », a expliqué Marlène Gamelon. « Ce mécanisme ne s’observe pas chez le cerf ou le chevreuil. »
Le réchauffement des températures a même un effet indirect en la faveur du sanglier. « Avec la hausse des températures, les années de fortes glandées pourraient être plus fréquentes. Ce qui entraînerait une augmentation de la proportion de femelles reproductrices », a-t-elle expliqué.
7 – Plus d’animaux, plus de routes, plus de collisions…
Selon les rares études disponibles, Raphaël Mathevet rappelle que les collisions routières avec la faune sauvage ont fortement progressé depuis les années 1980. On en dénombrait plus de 65 000 en 2009. Près de la moitié concernait le sanglier. La cause ? Plus d’animaux, plus de routes, plus -d’infrastructures, plus de voitures, davantage de camions.
8 – Quels dégâts agricoles ?
Pour les agriculteurs, le sanglier est une espèce occasionnant des dégâts. « Les cultures sont principalement impactées. Maïs, blé, colza… sont autant de gourmandise pour eux. C’est une combinaison de dispositifs et de mesures qui doivent être mises en place de façon différenciées selon les situations et les territoires », a témoigné Franck Vital (FDC42).
Quelques exemples : clôtures électriques, agrainage de dissuasion selon la réglementation et dans des conditions très suivies, chasse adaptée, système de responsabilisation par une taxe des territoires de chasse à l’hectare, identification de solutions à l’échelon local avec les parties prenantes. L’indemnisation de ces dégâts représente une enveloppe de 80 millions d’euros par an, payée par les seuls chasseurs.
9 - Et le Loup alors ?
Selon les informations collectées par les chercheurs, l’OFB et les fédérations des chasseurs, le loup en France a dans son régime alimentaire des sangliers, et surtout de jeunes animaux. S’il intervient dans la dynamique de la population de l’espèce, à lui seul, il n’a pu enrayer l’augmentation de la population par exemple en Espagne ou en Italie ou le loup n’avait pas disparu.